أدب وثقافة عربية /Littérature et culture arabes / Arabic literature and culture

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Saadane BENBABAALI, ancien Maître de Conférences UNIVERSITÉ SORBONNE PARIS 3

jeudi 9 septembre 2021 Ibn Arabi, Le Maître de la Voie d'Amour : texte intégral au 9 Septembre 2021

Ibn Arabi, Le Maître de la Voie d'Amour

Au Nom deDieu, le Clément, le Miséricordieux


Préambule

J. Green écrivaitàpropos de Saint François dAssises : il faudrait être un saint pourparler de ce saint. Sagissant dIbn Arabî, il faudrait ajouteret pas nimporte quel saint!. Il faut en effet une grandeprétention ou une profonde inconscience pour accepter décrire une biographiede celui dont le parcours terrestre et la pensée spirituelle ont si peudéquivalent dans la pensée universelle.[1]

Jai accepté de parler de la viedu grand Maître. Ce défi me trouble et me passionne. Jignore si jarriverai àrendre compte de celui qui fut le plus grand penseur de lIslam.Mais je suisprêt à mettre à son service toute mon énergie et ce que jai reçudenseignements. Jirai vers lui avec lamour que la lecture de son oeuvre mapermis de découvrir.

Je ne savais pas quun jourjaurai à parler du Shaykhal-akbar. La première fois que je fis sa rencontre, ce futlors de la rédaction de ma thèse sur la poésie andalouse. Je découvris alorsles muwashshahâtcomposées par Ibn Arabî. Je consacrai à ses poèmes andalous un chapitredans lequel je parlai également des muwashshahâtdAbû al-Hasan al-Shushtarî, un autre soufi dorigineandalouse. Je me rappelle avoir adressé, à la veille dentreprendre le chapitreles concernant, une lettre aux deux grands maîtres afin de leurexprimer ma profonde émotion et de solliciter leur secours. Le paragraphe queje rédigeai par la suite sur leurs muwashshahâtspirituelles constitue lun de mes passages préférés dans cette thèse.

Par la suite, J. Weiss - unmusicien français vivant en Syrie- qui dirige un ensemble de musique classiqueorientale sollicita ma collaboration pour la traduction des poèmes soufis dunalbum sur la musique des Derviches tourneursde Damas. Je garde un souvenir ineffable de ce travail qui me mit aucontact dIbn al-Fâridh et me fit surtout retrouver Ibn Arabî. Je donnai alorsla traduction suivante des vers fameux de son Turjumân:

Jusquà ce jour, jignorais monBien Aimé

Puisque ma religion, de la sienneétait éloignée(...)

LAmour, désormais, est monunique croyance

Où que se dirige sa caravane,lAmour sera ma religion et ma foi.

À cette époque, jecommençais déjà à suivre lenseignement spirituel dun maître soufi akbarien.Ma curiosité littéraire pour loeuvre dIbn Arabî senrichit des enseignementstirés dune expérience spirituelle dont le mot-clé est lAmourdivin. Je décidai alors de faire connaître à mes étudiants un aspect deloeuvre poétique dIbn Arabî. Mon choix se porta sur Turjumânal-ashwâq .

En abordant cette oeuvremagistrale, je maperçus de la difficulté den appréhender les aspectsésotériques. Jeus alors souvent recours aux conseils du cheikh pour tenter depénétrer limpénétrable. Il ny avait quà lire lIntroduction du Turjumân pour sen rendre compte:

Quel quesoit le nom que je mentionne dans cet ouvrage, cest à elle que je faisallusion ( fa-an-hâ uknî ). Quelquedemeure dont je chante lélégie, cest à sa demeure que je pense ( fa-dâru-hâ anî). Mais il y a plus. Dansles vers que jai composés pour le présent livre, je ne cesse de faire allusion ( lamazal an al-imâ ilâ..) aux inspirations divines ( al-wâridât al-Ilâhiyya ), aux visitations spirituelles, auxcorrespondances (al-munâsabât) ( denotre monde ) avec le monde des Intelligences angéliques; cétait meconformer à mon habituelle manière de penserpar symboles, cela, parce que les choses du monde invisible ont pour moiplus dattrait que celles de la vie présente, et parce que cette jeune filleconnaissait parfaitement ce à quoi je faisais allusion ( li-ilmi-hâ li-mâ ilay-hi ushîru).[2]

Mis en demeure par ma propredécision dinscrire cette oeuvre au programme dêtre clair dans mes cours, jemimposais une recherche qui me fit franchir des étapes inattendues danslinitiation à loeuvre du Maître. Je me constituai alors une solidebibliographie et fis la connaissance deshabitants de lunivers akbarien. Dabord M. Gloton, qui a donnéune traduction en français du Turjumân[3]et dont javais eu loccasion découter un exposé sur Ibn Arabî à lInstitutdu monde arabe. Ensuite et surtout M. Chodkiewicz dont javais entendu parler àpropos de sa traduction dextraits du Kitâbal-Mawâqif de lÉmir Abd al-Qadir[4]. Puisde sa fille C. Addas dont la thèse sur la vie et loeuvre du Shaykh al-akbar[5]marque une étape importante dans la connaissance du parcours terrestre et duvoyage spirituel dIbn Arabî. Je lus avec intérêt les travaux de H. Corbin[6] etles nombreuses traductions données par M. Valsan. Mais le plus important fut laconfrontation avec loeuvre dIbn Arabî elle-même. Je commençais à réunir ceque je pouvais trouver à Paris et le complétais par ce que je dénichais chezles libraires en Algérie lors de mes déplacements dans ce pays. Le responsablede la bibliothèque de lU.F.R. Orient et monde arabe à lUniversité Paris 3savéra un interlocuteur de haut niveau en ce qui concerne loeuvre dIbnArabî. Il mit à ma disposition des textes comme Mawâqial-Nudjûm ainsi que des traductions de M. Valsan parues dansla Revue des Études traditionnelles.

Ainsi armé de toutes cesétudes et textes dIbn Arabî, je présentai lors dun colloque internationalque jorganisai en mars 2001 à lInstitut du monde arabe un exposéintitulé: Les poètes soufis etlart du tawshih. Jétudiaialors le lien étroit qui reliait lesmuwashshahât profanes àcelles appartenant au registre mystico-spirituel. Je montrai comment AbûMadyan, Ibn Arabî et al-Shushtarî ont su reprendre, avec un rarebonheur, les images et même le vocabulaire poétique des washshâhûn profanes afin de chanter livressemystique et la quête de lunion avec le Créateur. Tout ce que la poésie profanea exprimé sur la douleur de la séparation, les amers regrets ou la nostalgiedes moments vécus dans lunion ainsi que sur le fol espoir des retrouvailles,les poètes soufis sen saisirent. Par un processus semblable à celui delalchimiste qui transforme le plomb en or, ils opèrèrent une translationsémantique qui méritait dêtre analysée.

Ce Colloque fut pour moi le pointde départ dune exploration régulière et systématique de loeuvre du Maître.Les Futûhât dont je venaisdacquérir une édition en neuf volumes[7]devinrentmon livre de chevet. Je découvris alors le chapitre sur lamour (Bâb al-Mahabba) dont la lectureen arabe fut un moment de ravissement et de profonde interrogation. Je décidaialors de mettre le texte au programme afin de faire partager à mes étudiants leplaisir de lire un texte du 13e siècle dune beauté et dunerichesse inégalées. Le cours sadressait aux étudiants de licence etsintitulait:

Amour profane et amour spirituel entre lOrient et lOccident musulmansdans la période classique: lexempledu Livre de lAmour dIbn Arabî.

Le cours consistait enlétude thématique et stylistique du chef-doeuvre poétique dIbn Arabî. Lebut était dinitier les étudiants à la technique de recherche en littératureclassiqueet de les familiariser avec la terminologieet le lexiquede lamour chez un auteur soufi. Et comme il ny a pas meilleur moyen decomprendre une oeuvre que de lenseigner, je découvris à quel point jétaisignorant dans ce domaine. Mais peu à peu les notions fondamentales commencèrentà me devenir familières. Ce que japprenais par la lecture fut consolidé par cedont je faisais lexpérience par goût (dhawqan)sous la direction de mon cheikh.

De temps à autre, je melaissai aller à des improvisations versifiées dans le style akbarien. Nefaut-il pas être poète pour comprendre un poète? Parmi les poèmescelui-ci sous forme de munâdjât(M):

Kayfa yanâmu al-âshiqu wa-l-Habîbu yaqdân

Kayfa ghafaltu fi-ruqâdî wa Anta sahrân

Yâ Man sakanta qalbî l-hayrân abdu-Ka walhân

Lam yatib lî taâmun wa-lâ shurbu kîsân

Anta qasdî wajadtu fî-Ka djannata Ridwân

Kullu mâ khalaq-ta la-Ka mâdha yutî l-haymân

Anam alâ man zâdu-hu dhikru-Ka yâ Rahmân

Bi-wasli-Ka l-mawûdi qabla fawâti l-awân

Comment lamant peut-il dormiralors que veille le Bien-Aimé?

Comment ai-je pu Tabandonner etsombrer dans le sommeil?

Ô Toi qui a pris pour demeure moncoeur affligé

Jai perdu le goût de livresse etdu manger

Cest Toi mon but auprès de quijai agrément et félicité

Tout est Ta création, toutTappartient,

que peut Tapporter lamoureuxéperdu?

Accorde à celui qui na pourprovision que lévocation de Ta miséricorde

Lunion promise avant que nesachève cette vie si brève.

Aux pérégrinationslivresques et à lexpérience spirituelle sajouta un désir de mettre mes passur ceux du Maître. Mes conférences au Portugal me permirent de partir à larecherche des lieux fréquentés par Ibn Arabî. Mon premier souci fut deconnaître Loulé (al-Ulyâ) où résidalun de ses premiers maîtres. Je poursuivis ma quête de ces hauts-lieux de la spiritualité avec Séville où je merendais deux fois par an au moins, de Cordoue et de Grenade. Je visitaiségalement Alep en Syrie où le Maître séjourna à plusieurs reprises. Ces voyagesnavaient pas pour but de rechercher un endroit précis, ni de mettre la mainsur un quelconque manuscrit inédit du Sheikh,mais juste de déambuler dans des endroits que ses pieds ont foulés et dêtrehabité par le sentiment de sa présence. Je laissai aux chercheurs le soin deglaner ici ou là ce qui existe encore comme textes inédits à faire connaître. Àchacun sa mission, la mienne est très égoïste, mettre mes pas dans ceux dubien-aimé.


Chapitre 1

Enfance dIbn Arabî àMurcie jusquau départ à Séville

La shahâda du père

Kun![1]

Cestà Murcie au mois de ramadan de lannée 560[2] quele Créateur nous a comblés dun fils que nous appelâmes Muhammad. Sa venueapporta une joie immense à sa mère Nûr et me fit oublier pendant quelque tempsles soucis de ma fonction. Nous vivions, en effet, depuis plusieurs mois dansune ambiance de guerre. Tout le sud dal-Andalus était tombé aux mains destroupes berbères. Ils étaient parvenusjusquaux portes de la Principauté de Murcie et menaçaient de plus en plusnotre indépendance. Abû Yaqûb qui venait de succéder à son père Abd al-Muminavait établi sa capitale à Séville. Seule la région du Levante lui échappaitencore grâce à la farouche résistance de notre émir Ibn Mardanîsh. Il tentaitdepuis deux ans de percer notre défense mais les Muwahhidûn[3],comme ils aimaient se nommer, navaient toujours pas réussi depuis dix-huit ansà soumettre la taïfa de Murcie. Le Seigneur est Seul vainqueur, et les combats des hommes nesont quillusions me disait souvent mon père qui a connu luiaussi les guerres que le princes musulmans se livraient pour asseoir leurpouvoir ou élargir leur zone dinfluence.

Lanaissance de mon fils occupa presque exclusivement mon esprit. Toutes lespréoccupations militaires et administratives furent alors reléguées au secondrang. Désormais, jétais pressé de quitter les séances du Conseil pour rentrerdans notre demeure et me précipiter dans la pièce où le petit lit de Muhammadavait été installé. Quand je le trouvais éveillé, je me tenais là au-dessus dece petit être sans lequel notre descendance séteindrait. Voici, medisais-je, presque sans réfléchir ahsankhalaf li-ahsani salaf[4]. Jesongeai alors à notre famille que le Destin a transplantée si loin de sa patriedorigine. Les Taiyy ont toujours vécu en Arabie où leur noblesselégendaireest connue de tous; rien ne laissait supposer que lune deleurs branches sinstallerait sur une terre dont ils navaient jamais entenduparler auparavant. Mais les décrets dAllah sont imprévisibles. Il était écritque les fiers nomades du désert du Hidjâz poursuivraient leur aventure humainedans les plus belles cités dal-Andalus.

Jallais souvent dans la chambre où il dormait et me tenais là,immobile, à admirer les traits de Muhammad essayant de reconnaître les signesde sa ressemblance avec Nûr ou avec moi-même. Mon épouse venait toujours merejoindre près du lit de notre enfant. Sans dire un mot, je savourais sur sonvisage épanoui le bonheur qui lirradiait. Quand nous avions fini de goûterensemble à ce moment de joie, nous nous retirions pour déjeuner. Il était alorsle seul sujet de nos conversations. Nûr me racontait les moindres faits etgestes le concernant depuis mon départ au Palais jusquà mon retour. Jedécouvris à quel point une mère pouvait être observatrice quand il sagissaitde son enfant. Rien ne lui échappait: ni un sourire, ni un geste de lamain ou encore une expression du visage. En lécoutant, je ne pouvaismempêcher de penser en moi-même celui qui estainsi aimé par sa mère létait certainement aussi par son Créateur!.

Quelquesannées auparavant, jaurais sans doute formulé pour lui, avec plus deconviction, un avenir des plus brillants. Je laurais vu à la tête desministères les plus prestigieux, un vizirchargé des plus hautes fonctions. Mais en ces temps dincertitudes, je nesavais pas trop dans quel monde il allait vivre et grandir. Al-Andalus nétaitplus le paradis terrestre quavaient connu mes parents et surtout mes grandsparents. Les menaces chrétiennes au Nord, les rivalités entre princes musulmansainsi que les stratégies dalliances et de contre alliances avaient mis fin àlâge dor du pays qui rivalisait naguère avec le Paradis céleste comme osaitle proclamer le grand poète Ibn Khafâdja:

Habitants dal-Andalus, cestDieu qui a fait votre bonheur

Entrelombre et les eaux, les arbres et les rivières

Le Jardin déternité est le pays de vos demeures

Sijavais à choisir, cest lui qui aurait ma faveur.

Nousvivions depuis plus de vingt ans sous la menace de la marée berbère quilaminait tout sur son passage. Ni le Gharb[5],ni le Sharq[6]néchappaient aux armées dAbd al-Mumin puis de son fils Abû Yaqûb. DeMertola, de Shilb, de Batalyaws nous parvenaient des nouvellespeu rassurantes. Ni princes musulmans, ni seigneurs chrétiens, ni lalliancedes deux ne parvenaient à stopper linexorable avancée des almohades. Je merappelle encore presque mot pour mot le discours que nous tint le Prince à lasuite de ces évènements:

Lheureest grave et la décision à prendre est urgente! Je vous ai réunis, vousmes fidèles qui faites partie du premier cercle, pour définir notre conduitedans les heures dramatiques que nous vivons! Vous avez réussi, malgré vosdifférences dorigines et de croyances, à créer une administration solidaire etharmonieuse. Soucieux de lintérêt de notre principauté vous avez toujours faitpasser lintérêt de nos sujets avant ceux de votre clan ou groupe ethnique!Aujourdhui nous sommes tous appelés à faire un choix capital. Ou nous nouslivrons aux Berbères incultes et sanguinaires ou nous leur faisons face commeun seul homme!

Nousétions tous au courant de la situation, mais ces paroles nous tirèrent dunesorte dinconscience dans laquelle nous vivions. Nous pensions sans doute quela force vitale dal-Andalus était telle quaucun conquérant ne réussirait à lasoumettre définitivement. Que peuvent les feux delEnfer contre la douceur du Paradis? disait mon pèrechaque fois que notre pays traversait des moments difficiles. Les Almoravidesnavaient-il pas tenté aussi de soumettre cette contrée à leur vision du mondesans jamais y parvenir? À peine installés sur les rives verdoyantes duGuadalquivir et dans les cités prestigieuses de Cordoue, de Grenade et deSéville quils finirent par se convertir à notre mode de vie. Les successeursdes premiers princes conquérants rétablirent très vite dans leurs cours lesmœurs que leurs pères avaient condamnées. Chanteuses et poètes revinrent dansles cours des princes mécènes qui finirent par succomber aux charmes des bellescaptives chrétiennes et en firent leurs concubines.

Ouvrirnos frontières à Abd al-Mumin, continua le Prince, cest signer notre arrêtde mort. Ces fanatiques nauront de cesse avant de détruire tout ce que nousavons patiemment édifié. Ils ne tolèreront jamais ni nos tavernes ni nosmosquées! Ils brûleront les premières au nom de la sharîa et trancheront le cou de nos fuqahâ sous prétexte dhérésie ou de bida[7]!Ils ne connaissent de lIslam que linterprétation quen donne leur prétenduMahdi. Jamais nous ne pourrions supporter leur rigorisme et les contraintesquils imposeront aux hommes, aux femmes et même aux enfants!

Je merappelle quau mot de contrainte, le shaykhosa interrompre le Prince rappelant notre compréhension de notre religionvénérée:

-Pourtant, notre religion prône la tolérance et lamour entre les hommes!le Coran ne proclame-t-il pas point decontrainte en religion?

Le Princele laissa terminer sa phrase puis reprit:

- Selonnotre religion, certainement, mais pas selon ces faux-dévots qui ne connaissentdu Coran ou du hadith que ce que leur prétendu Mahdi leur a enseigné! Ilsont juré dépurer lIslam de tout ce qui contredit leurs mœursprimitives! Pour eux tout nest que bidaet kufr[8]! Sur ce terrain, ils nacceptentaucune discussion, leur seul argument est le sabre! De la décision quenous prendrons dépendra non seulement le sort du Levante, mais dal-Andalusdans sa totalité! Si Murcie tombe entre les mains dAbd al-Mumin, nousentrerons dans le siècle des ténèbres! nous sommes devenus, malgré nous,le bouclier de la Civilisation contre la barbarie!

Cettedernière phrase finit par entrainer ladhésion de tous les assistants quivenaient découter effarés, les prédictions apocalyptiques de leur souverain.Musulmans, chrétiens juifs et agnostiques se sentirent tous concernés etsolidaires. La désolation et le chaos menaçaient notre univers. Nous croyionsque la tragédie vécue lors du débarquement des Almoravides nallait plus jamaisse reproduire. Mais lhistoire se répétait avec un visage encore plus hideuxcette fois-ci. Les nouveaux réformateurs étaient plus fanatiquesque les précédents. Chaque prière du vendredi était devenue loccasion defustiger les kuffârinstruments dIblîs[9]et alliés des mécréants. On ne sadressait plus à la raison du croyantcomme le recommande notre Livre sacré mais à ses instincts les plus bas. Desprêcheurs enflammés flattaient les sentiments vindicatifs des petites gens dela amma conditionnant ainsi lesmasses pour les préparer aux futures épurations.

Lesnouvelles que nous rapportaient les fugitifs depuis quelques mois nétaientguère rassurantes! À Cordoue comme à Séville, les Berbères avaient prisdes mesures draconiennes contre ce qui représentait pour nous la civilisationet le progrès et qui, pour eux, nétait que preuves de vie dissolue. Oninterdisait les concerts, on brûlait les instruments de musique et les livresoù nos poètes et hommes de lettres parlaient damour et divresse! Lesfemmes nosaient plus saventurer seules dans les rues comme elles le faisaientdepuis des décennies après le revirement moral de derniers princes almoravides.Sur les bords du Guadalquivir les tavernes où lon chantait et dansait jusquaulever du jour se turent à jamais. Après la prière du soir, les ruelles deCordoue comme celles de Séville étaient désormais désertes. Les habitants sesentaient épiés même dans leurs demeures et nosaient organiser aucune fête quiaurait pu être considérée comme une bida.Les mariages et les circoncisions se faisaient désormais dans la discrétion laplus totale. Les occasions de rire, de chanter et de boire devenaient de plusen plus rares et ceux qui pouvaient fuir le faisaient à la moindre occasion.Cest ainsi que notre principauté recueillit des milliers de sévillans et decordouans pour qui la vie était devenue désormais impossible sous sous laterreur morale des Berbères fanatiques.

Plus quejamais ces vers de notre grand poète Ibn Khafâdja me revenaient àlesprit:

Le désir de demeurer est une forteressevouée à la destruction

Et tous les édifices élevés dans la vie sont promisà la disparition.

Ensonnant lalarme, Ibn Mardanish visait à souder son Conseil consultatif avantde se préparer au combat frontal contre les envahisseurs du Maghreb. Leconseil se termina naturellement par le soutien indéfectible au Prince. Noussavions tous ce qui nous attendait en cas de victoire des Berbères aveclesquels nexistaient aucune solution de compromis. Nous acceptâmes unprélèvement supplémentaire dimpôts pour faire face aux dépenses que nécessitaientlachat darmes nouvelles et le recrutement de nombreux auxiliaires parmi lesmercenaires chrétiens. La cohésion des membres du Conseil donna des forcesnouvelles à Ibn Mardanish qui prit alors la tête dune résistance farouche quidura plus de trente ans.

Adepte duprincipe selon lequel cest dans lattaque que réside la meilleure défense, ilharcela sans répit les troupes dAbd al-Mumin. Son audace le poussa même à serapprocher tellement de nos adversaires quil faillit une fois prendre Cordoue.Mais changeant brusquement de tactique à la suite dinformations erronées, ilfonça sur la capitale Séville afin de donner un coup décisif à ladversaire.Malheureusement, les Berbères avaient réussi à mobiliser autour deux unegrande partie de la plèbe dont le soutien empêcha Séville de tomber entre lesmains dIbn Mardanish.

Les moissuccédèrent aux mois, de petites victoires furent suivies de défaites, mais lesfrontières du royaume restèrent étanches à linvasion. Nous nous habituâmes àlincertitude du lendemain, mais sans jamais désespérer. La présence deMuhammad était pour nous comme un rempart contre le malheur: il était lavie et lespoir. Chaque jour de la vie de notre enfant nous apportait son lotde joies et de satisfactions. Une curiosité exceptionnelle le caractérisait. Ilaimait surtout nous faire répéter les noms des choses. Ce fut dabord cellesque son regard pouvait atteindre, puis de plus en plus tout ce qui était delordre du sentiment. Il finit par connaitre tous les mots qui désignaient latristesse, la joie, létonnement, la compassion etc Lorsque quelquun entraitchez nous, il guettait la moindre expression sur son visage ou dans ses yeuxavant de lancer:

- Tante, quest-ce qui te chagrine? Ton visageest immobile.

- Mère, quest-ce qui te rend si gaie? Tes yeuxbrillent comme des étoiles.

Létapesuivante fut celle du dessin et surtout de lécriture. Cest auprès de sa mèreque Muhammad commença sa véritable instruction. Doué dune mémoire prodigieuse,il apprit très vite à réciter un grand nombre de sourates et de poèmes. Avantmême de le confier à un précepteur, Nûr lui enseigna tous les secrets delalphabet. Il progressa si vite quil se jetait désormais sur tout documentqui portait une écriture. Il finit par lire couramment les lettres que jerédigeais pour le Prince. Jétais toujours surpris dentendre dans sa bouche letexte de missives adressées à nos alliés pour une aide en hommes et en armes.Il me demandait ensuite de lui dessiner tout ce quil lisait. Je me prêtaissouvent à son jeu et finis par lui mettre entre les mains une véritableencyclopédie des armes de lépoque. Je remarquais que cela le fascinait de voirquaux mots correspondaient des choses bien réelles. Cela lui donna un profondrespect de la chose écrite et créa en lui un puissant désir de maîtriser cettearme supérieure à toutes les autres: la connaissance de la lecture et dede lécriture. Il me demandait souvent:

- Écris-moi un arbre!

Puis:

- Maintenant dessine-le moi!

Ensuite,il comparait le mot et le dessin cherchant à percer le secret de chaque lettreet le pouvoir quelle avait de participer à désigner tout ce qui existe. Ilrésumait cela par une expression que je nai jamais oublié: lesmots savent tout! alors je veux connaître tous les mots!

Trèsattentive à chacun de ses progrès, Nûr finit par concevoir pour Muhammad unavenir des plus prestigieux:

- Il sera ministre un jour, aimait-elle à me répétercomme pour conjurer le sort et éteindre en son âme toute crainte dans cesannées de guerre.

- Il sera ministre, si Dieu le veut, mais je veuxsurtout quil soit un homme complet.

Nûr sechargea alors de lui transmettre non seulement les bases de sa future formationdadîb[10],mais également les règles de bienséance. La tâche fut dautant plus aisée queMuhammad vouait à sa mère un amour profond. Les longues heures de travailpassaient comme des moments de bonheur intense. Chaque fois que je revenais dupalais, je le trouvais occupé comme le serait un étudiant studieux alors quilnavait encore que quatre ans. Je finis par trouver quil se consacrait tropaux études pour son âge. Je proposais alors à Nûr de le confier à un maîtredéquitation pour que la souplesse et lhabileté physiques viennent compléterses prouesses intellectuelles. Le Prophète na-t-il pas recommandé à toutmusulman dapprendre à monter un cheval? Muhammad fut enchanté par laproposition car il aimait naturellement les animaux. Il était émerveillé par leroucoulement dune colombe ou le battement des ailes dun papillon dans lejardin de la maison.

CHAPITRE 2


La shahâda de Muhammad

Le temps de l'innocence

"Je naquis sous le règne du Calife Al-Mustandjid à Murcie, dans le royaume dusultan Abû 'Abd Allâh Muhammad Ibn Sa'ad Ibn Mardanīsh la nuit du lundi 17 dumois sacré de Ramadan de l'année 560.Les premières années de ma vie se passèrent surtout dans l'enceinte du châteauque le sultan avait fortifié en élevantde puissantes murailles pour se protéger des assauts répétés des troupesAlmohades.

Mespremiers souvenirs remontent à l'époque où j'étais sur mes trois ans. Et depuiscette date jusqu'à notre départ pour Séville après la chute du royaume et lamort du sultan, une seule image remplit mon esprit: celle de ma mère.Elle s'appelle Nouret elle a été, par sa présence et sa bienveillance, la Lumière non seulement dema prime enfance mais de ma vie entière.

Nousquittions rarement le palais à cause de la menace permanente qui pesait sur leroyaume. N'ayant pas réussi à prendre d'assaut la forteresse qui nousprotégeait, les ennemis du sultan, après de longs sièges finirent par seretirer dans la plaine. C'est alors que la vie devint plus difficile car nousétions désormais privés de tout ce que cette terre fertile produisait commefruits et légumes. Les figues, les olives, les pommes, les poires, les grenadeset toutes sortes de fruits vinrent à manquer cruellement. Nous vivionsdésormais des stocks de fruits et légumes secs que le sultan prévoyant avaitconstitués dès qu'il se sentit en danger.

Pourm'occuper, car j'avais, au dire de ma mère, l'énergie de cent soldats réunis,elle s'ingéniait à occuper mes journées demanière aussi agréable qu'utile.Elle était disponible pour moi tout le temps dont elle disposait en dehors deses tâches de maîtresse de maison. Elle insistait pour que chaque journéem'apporte son lot de bienfaits tant physiques qu'intellectuels ou spirituels.Elle me permit très tôt de développer mes capacités physiques. Pour cela, ellejouait avec moi de longs moments dans la cour, inventant mille jeux pour mefaire courir et sauter. C'est à elle que je dois aussi mon adresse au tir àl'arc où elle excellait; il n'y a que pour les chevaux qu'elle me confia à unmaître qui, dans l'exiguïté du périmètre dont nous disposions, m'appritquelques secrets de l'art hippique.

Cependant,malgré tout l'engouement que j'avais pour les occupations de la journée, c'estdurant la nuit que mon âme trouvait sa nourriture préférée. En hiver, au coursdes longues soirées, ma mère venait dans ma chambre et restait auprès de moijusqu'à ce que je m'endorme. Elle m'avait habitué à un rituel qui dura jusqu'ànotre départ de Murcie: elle me faisait d'abord réciter les versets du LivreSaint que j'avais appris la journée, puis choisissant quelques mots dont ellevoulait fixer le sens dans mon esprit, elle entamait alors ce qu'elle appelaitle jeu des " signes et des sons". Cela consistait en une séried'exercices ludiques qui me ravissaient au plus haut point. Avec une plume enroseau, elle dessinait la première lettre d'un mot d'après lequel je devaisdeviner la suite. Dès les premières semaines de mon apprentissage, je me suishabitué à retenir les lettres de l'alphabet en associant chacune d'elles à unanimal ou une plante ou un fruit. Ainsi le mim était pour moi un abricot(michmach), le fa une souris (fa'r) et le ta un oiseau (tayr) dont la queueétait évidemment la barre qui surmontait le corps de la lettre.

Par la suite, quand j'avais totalement acquisl'alphabet, je me débarrassais de ce genre d'associations et cherchais àpénétrer le sens caché des vingt-huit signes qui permettaient aux Arabes dereprésenter les noms de tout ce que l'esprit pouvait concevoir. Je me disaisque si tous les secrets de l'existence visible et non visible étaient contenusdans si peu de signes c'est que ces lettres possédaient chacune une formidableénergie créatrice de sens. Au lieu de les considérer comme de simples dessinsinertes, je découvrais en elles une vitalité qui se manifestait à moi d'unemanière évidente.

Maconnaissance du secret des lettres et l'intimité spirituelle que j'avais avecelles avaient pris naissance dès mes premiers mois d'apprentissage de lalecture. J'avais compris que les lettres n'étaient pas que des sons qui,combinés avec d'autres, produisaient un sens, mais qu'elles étaient porteusesde manière autonome de significations avant même qu'elles ne sortent de nosbouches sous leur aspect sonore. Plus tard, avec d'autres frères versés dans lascience des lettres, je parachevais ma connaissance du monde merveilleux des houroufs.

Maisce que je préférais par dessus tout c'étaient les histoires merveilleuses queme racontait ma mère lorsque le sommeil tardait à venir. Elle avait le don derendre si vivant ce qu'elle me racontaitque j'avais l'impression que les personnages de ses histoiress'incarnaient sous mes yeux. Le visage de Nour s'animait, sa voix se faisaittantôt douce tantôt puissante et ses mains dessinaient au-dessus de ma tête lesdétails que je n'arrivais pas à saisir. Aussitôt, j'étais témoin des coursiersqui portaient leurs cavaliers à une allure fulgurante à travers plaines etmontagnes et j'entendais jusqu'au bruit de leurs sabots sur le sol. Je suivaisainsi la longue épopée de la migration de nos ancêtres depuis le lointain Yémenjusqu'à la terre d'al--Andalus où ils vinrent s'établir aux premières années dela conquête. Elle m'énumérait toutes les villes traversées par la tribu desBanu Taiyy et me les faisait répéter à tel point que je finissais par connaîtrepar cœur l'itinéraire de cette formidable épopée. Elle prenait soin de s'attardersur la traversée du Maghrib dont sont originaires ses ancêtres les Banu Yughan.Elle me décrivait avec force détails la faune et la flore de cette contrée etme disait: "on ne connait un pays que si l'on connait les noms des fleursqui y poussent et des oiseaux qui y vivent". Ainsi ses histoires, en plusdu fait qu'elles me distrayaient et m'aidaient à trouver le sommeil étaientchaque fois pour moi de véritables leçons de géographie, d'histoire et desciences de la nature.

J'écoutaisce qu'elle me racontait buvant ses paroles et m'imprégnait de sesconnaissances. Mais le plus grand bonheur était pour moi sa présence tout prèsde moi sur le bord de mon lit. Je ressentais pour elle un sentiment sifusionnel qu'elle arrivait difficilement à quitter ma chambre. Bien des fois,mon père était obligé de venir la réclamer pour que je la laisse partir.Ensuite, une fois la porte de ma chambre refermée, je me repassais les imagesde ses histoires et me répétais tous les mots qu'elle m'avait appris jusqu'à ceque je sombre dans le sommeil.

Le signe de la sainteté.

"L'été est masaison préférée pour ses nuits étoilées. J'attendais la fin du jour avecimpatience surtout lorsque la chaleur devenait intense rendant pénible tous lesexercices physiques. Durant la journée, je passais le plus clair de mon temps àla lecture. Mais le soir, lorsque le ciel se parsemait d'étoiles, il devenaitpour moi un parchemin aux dimensions infinies où se déployaient devant mes yeuxébahis tous les savoirs auxquels je voulais accéder. Je pouvais alors saisird'un seul regard tous les secrets du monde d'en haut comme les lettres del'alphabet me livraient les sens cachés du monde d'en bas. Ainsi, entre meslectures du jour sur les pages de mes cahiers remplies de signes et celles dela nuit au cours desquelles je déchiffrais les formes qui décoraient le vastefirmament je prenais conscience de toutes les dimensions de la connaissance quemon jeune esprit pouvait aspirer à embrasser.

Ma mère étaitsouvent près de moi lors de ces "lectures nocturnes", mais elle necherchait jamais à m'imposer son point de vue. Elle m'écoutait avec une grandeattention lui déchiffrer les mosaïques célestes, ce qui m'encourageait àémettre parfois les hypothèses les plus farfelues qui provoquaient son étonnement.Elle se contentait de me demander des explications que je comblais avec unenaïveté qui me valait ses plus beaux sourires plein de tendresse. Je merappelle un jour avoir affirmé que la constellation qui formait la Grande ourses'était enrichie d'une nouvelle étoile plus lumineuse que toutes ses voisines.Intriguée, elle examina avec moi un à un chacun des astres, mais n'arrivait pasà voir l'étoile dont je parlais. J'avais beau la lui indiquer de toutes lesmanières possibles, elle restait invisible pour elle malgré l'éclatexceptionnel qu'elle projetait. Au lieu de me contredire et de corriger mavision erronée, elle me dit une parole que je n'oublierai jamais: " monfils, c'est toi qui as raison, ton étoile existe bel et bien, mais il n'est pasdonné à tout le monde de la voir. Il y a des signes que ne perçoivent que lesenfants, les saints et les prophètes." C'est depuis ce jour que je comprisque la réalité n'apparaissait pas de la même manière à tous et qu'il y avait unmonde invisible qui ne s'offrait qu'à des êtres privilégiés. Cependant, je nesavais rien des raisons qui faisaient que ces privilèges étaient accordés àcertains et pas à d'autres."

Leciel avec ses innombrables constellations était pour moi un océan sans rivagesoù voguaient les vaisseaux de la connaissance. Et mes observation nocturnesfaisaient souvent naître en moi l'envie de quitter le corps qui me rattachait àla terre pour aller explorer de près les réalités célestes. J'enviais pour celales oiseaux et leur capacité à s'élever d'un coup d'aile vers le firmament dontla profondeur infinie attirait mon âme avide d'absolu. Mais je finis partrouver dans les rêves une occasion de me délester de tout ce qui m'empêchaitd'atteindre ce que ni mes jambes, ni mes mains ne me permettaient de toucher.Je me voyais souvent, dans certains rêves, approcher les vaisseaux célestes desi près que je pouvais distinguer ce quils transportaient.

Certainsétaient chargés de feuillets portant des signes dans des langues que je neconnaissais pas mais dont les significations se révélaient à moi à travers lesformes des signes quelles utilisaient. Curieusement, on ignorance de ceslangues me permettait d'accéder au senscaché qui n'était livré qu'aux "enfants, aux saints et aux prophètes "comme me disait ma mère. Je me rappelais, lors de ce genre de révélations, desversets dans lesquels l'ordre (iqra! )qui était donné au Prophèteanalphabète de lire un message quil pensait inaccessible pour lui. L'Angeporteur de linjonction divine transmettait à celui que Dieu avait élu le sensésotérique à travers une langue qui ne livrait aux gens du commun que son sensexotérique. Les Prophètes recevaient la vérité par révélation, les saints yaccédaient par leur effort d'interprétation et les enfants par leur spontanéitéet leur intuition.

Jevoulais savoir l'origine de toutes les choses et c'est ma mère qui fut monpremier maître. Elle nourrit mon jeune esprit de tout ce qu'il était avide deconnaître à l'âge où les yeux s'ouvrent sur le champ illimité desconnaissances. S'appuyant sur ce que ma mémoire avait retenu de monapprentissage du Coran, Nour me retraçait l'histoire de l'existence humaine àtravers les récits des prophètes : la création d'Adam et de sa compagne Ève etleur exil du Paradis Céleste, l'odyssée de Noé, le chemin spirituel d'Abraham,l'élection de Moïse et sa mission auprès de Pharaon, laventure initiatique deJoseph, la merveilleuse naissance du Christ fils de Maryam et son chemind'amour. Elle me racontait chaque histoire en partant de ce que je connaissaisdes versets du Coran, puis elle complétait cela en se servant d'un grand Livreque j'aimais beaucoup : les Récits desProphètes.

Pendantqu'elle déployait devant moi l'histoire des hommes à travers la vie des plusillustres d'entre eux, j'essayais de comprendre le lien secret qui les unissaitmalgré la diversité de leurs expériences. Ils étaient tous les bénéficiairesd'une grâce divine qui en fit des élus parfois contre leur propre volonté commece fut le cas pour Moïse. Appelé par son Seigneur sur la montagne sacrée, il sesentait incapable de remplir la mission qu'Il lui confia. Comment pouvait-ilaffronter le puissant Pharaon, lui le faible berger qui n'avait aucun don pourla parole? Il apprit alors que, pour conquérir les hommes, un bâton de bergervalait mieux que mille épées. Cette grâce divine fut aussi octroyée à notreProphète bien-aimé Muhammad qui, orphelin de père et de mère, bénéficia de laprotection de trois êtres qui marquèrent sa vie et lui permirent d'accomplir samission: son grand-père, son oncle paternel et surtout sa femme Khadidja.N'est-ce pas elle qui, au moment des plus grands doutes le rassura sur saqualité de Messager et l'épaula durant toute sa vie lors de mission auprès desMecquois.

Loncle qui renonça à son royaume.

Pourminstruire ma mère aimait à me raconter la vie exemplaire non seulement desCompagnons du Prophète, mais aussi celle de gens ordinaires dont le destin aété complètement transformé par un évènement ou une rencontre.

Elleme raconta un soir l'histoire de son frère Yahya. Ce dernier était un princequi régnait sur la région de Tlemcen.

Tononcle vivait dans le luxe et aimait à porter les plus beaux habits. À sonépoque vivait un ascète qu'on appelait Abû Abd-Allah al-Tûnisî qui sétaitretiré dans une mosquée de la localité appelée al-Ubbâd, à lextérieur de laville de Tlemcen. Il y passait le plus clair de son temps à ladoration deDieu. Un jour, cet homme, qui se rendait à Tlemcen rencontra ton oncleaccompagné de sa suite. Quand ce dernier fut informé de lidentité du dévot, ilarrêta son cheval, le salua et lui demanda :

- Ôcheikh, mest-il permis de faire la prière avec les habits luxueux que jeporte?

Lascèteéclata de rire, alors ton oncle demanda:

- Quest-cequi te fait rire?

- Lapetitesse de ton esprit et lignorance que tu as de ton âme et de ton état!Pour moi, rien ne te ressemble le plus que le chien qui se vautre dans le sangdu cadavre de sa proie puis la dévore avec tous ses immondices, mais qui lèvela patte lorsquil va pisser pour ne pas être sali par son urine. Ainsi,toi-même, tu es un récipient plein de choses illicites car tu es responsable detant dinjustices envers tes sujets et tu cherches à savoir sil est permis defaire la prière avec tes somptueux habits?

Ton oncle pleura, puis descendit de soncheval et renonça sur le champ à son royaume. Il se mit alors au service ducheikh qui lhébergea, selon la tradition, trois jours et trois nuits à lissuedesquelles il vint le voir avec une corde et lui dit:

- Ôroi, les journées dhospitalité sont terminées, maintenant lève-toi et varamasser du bois.

Tononcle se mit alors à ramasser du bois quil portait sur la tête jusquau marchéoù les gens qui le voyaient se mettaient àpleurer sur son sort. Quand il avait vendu son bois, il gardait ce dontil avait besoin pour sa subsistance et distribuait le reste en aumônes. Ilpoursuivit ainsi cette activité dans sa ville jusquà sa mort. Il fut alorsenterré dans le cimetière du cheikh et sa tombe est devenu, depuis lors, unlieu de pèlerinage. Quand les gens venaient rendre visite à lascète pour quilintercède en leur faveur, il leur disait dadresser plutôt leurs demandes à tononcle Yahya ibn Yughân:

- Ilfut roi, leur disait-il, et il renonça à son royaume pour mener une viedascète. Si javais été soumis à la même épreuve que lui, je nauraispeut-être pas renoncé à mon royaume.

Aprèsavoir terminé son histoire ma mère me récita des vers que lon composa à sonpropos:

Je suis dans létat danslequel tu me vois,

Si tu y réfléchis bien,cest un état des plus enviables :

Ma demeure se trouve là oùje le désire, partout sur la terre ferme

Et le Ciel mabreuve de soneau la plus douce ;

Je nai ni père ni enfants

Et je nai pas de famille ;

Je me sers de mon brasdroit comme coussin

Et quand je me retournecest sur le gauche (que jappuie ma tête)

Jai goûté un court instantaux saveurs de la vie,

Qui ne sont que mirages et illusions si tu y réfléchis bien

Les secrets de la prière et du jeûne

Cest ma mère qui minitia à la prière. Ce fut à ma demande que je commençais trèstôt à partager avec elle ces moments de recueillement. Au début, je necomprenais pas pourquoi elle ne me répondait pas lorsque je la sollicitais pourune chose ou une autre pendant loraison. Elle mexpliqua alors qu au momentde la prière, lêtre humain ne sappartient plus, cest comme sil était envoyage sur son tapis qui devenait ainsi une sorte de vaisseau céleste. Lidéeme plut beaucoup et je voulus alors essayer dentreprendre un tel voyage. Elleme dit alors:

- Il va falloir alors se préparer, parce que cela nesimprovise pas comme pour nimporte quel voyage.

- De quoi a t-on besoin, mère?

- Dabord de savoir où on va, connaître sa destination

- Jai envie daller là où tu vas, mère! Dis-moi oùvas-tu quand tu pries?

- Je vais très loin, je quitte ce monde, je vais chez leRoi des rois, chez Celui qui a élevé les Cieux et aplani la Terre!

- Mais quand je te regarde, tu es toujours ici, commentfais-tu?

- Cest un voyage intérieur que tu comprendras quand tulessaieras.

- Je veux essayer tout de suite!

- Daccord, mais une fois la destination connue, il fautse préparer!

- Se préparer? Comment?

- Nentreprend ce voyage que celui qui a préparé soncorps et son esprit, mon fils.

- Montre-moi!

- Pour le corps, cest facile, mais pour lesprit cestun peu plus compliqué, mais on y parvient avec des exercices

Elle me prit alors par la main et memmena à la salle deaupuis commença à faire ses ablutions en me commentant chaque geste. Je comprisalors le sens profond de cette préparation. Tout ce qui va participer au voyagecéleste doit être purifié pour être digne de cette aventure: les mains et lesbras deviennent secours pour autrui, la bouche se purifie de toute médisance,les yeux se ferment aux illusions, le visage se remplit de la joie daimer, lesoreilles deviennent sourdes aux sollicitations dIblis et les pieds renoncent àemprunter une autre voie que la Sienne.

Une fois les ablutions terminées, elle ajouta:

- Le voyageur a aussi besoin de provisions, mais cela je telexpliquerai une autre fois.


CHAPITRE 3La Shahada dAbou l-Qamar Hilel Ibn MardanishSeul le Royaume de Dieu est éternel

Après un quart de sièclede résistance, malgré la détermination de mon père et les murailles réputéesinexpugnables de notre cité, Murcie Labien gardée est finalement tombée. Les Almohades sont désormais lesnouveaux maîtres de lAndalousie. Aprèsavoir mis fin à lempire almoravide et installé leur pouvoir à Séville, Cordoueet Alméria, les Berbères du Maghrib ont réussi à occuper la dernière principautéqui leur résistait.

Aujourdhui, nous quittons Murciedéfaite et ruinée. Ses magnifiques palais ont été livrés au pillage pillés etses jardins légendaires ont été dévastés. Tout ce qui faisait la splendeur dela capitale du Levante sest écroulé sous les coups des conquérants et de leursnouveaux alliés. Mais, grâce à Dieu, nous sommes encore vivants et lhonneur denos femmes et de nos filles est sauf. Les Almohades dont on nous décrivait lasauvagerie se sont avérés moins cruels et moins vindicatifs quon ne lecraignait.

Après la mort de mon père et ladécision du conseil de livrer la ville aux vainqueurs, ces derniers ont accepténotre allégeance. Nignorant pas lexpérience des fonctionnaires de notre citédans ladministration de la Principauté, ils ont préféré utiliser leursconnaissances plutôt que de les éliminer ou les asservir. Ils nous ont alors proposéde les servir en tant que sujets de leur pouvoir à Séville quils ont choisiecomme nouvelle capitale dal-Andalus.

Au moment où notre caravanefranchit pour la dernière fois la porte de notre ville, tout le passé me revintà lesprit

Cest à mon père, Muhammad IbnMardanish, que non seulement Murcie, mais aussi tout le Levantin doivent leurgloire et leur splendeur. Cest à la mort de son maître Ibn Iyâdh, prince deValence, que mon père fut désigné pour lui succéder. Je me rappelle mot pourmot ce quil mavait raconté maintes fois à propos de cet événement:

Ibn Iyâdh, mon maître,disait mon père, était lhomme le plus pur et le plus brave quil ma jamaisété donné de connaître. Cest pour ces qualités que les habitants de Valence,de Murcie et de lAndalousie orientale tombèrent daccord pour le reconnaîtrecomme leur dirigeant. On disait quil était le meilleur du peuple qui a reçucomme guide le Prophète Mohammad. Aux qualités morales du chef de Sharq al-Andalus, sajoutait sa bravourelégendaire. Quand il prenait ses armes et montait à cheval, nul nosaitlaffronter, aucun héros ne pouvait lui résister. Les Chrétiens eux-mêmes lecomptaient pour cent cavaliers et sécriaient en voyant son étendard:Voilà Ibn Iyadh, voilà cent cavaliers!.

Grâce à tout cela, racontait mon père, monmaître Ibn Iyâdh assura la tranquillité de toute la région orientale delAndalousie jusquau jour de sa mort.Il avait été non seulement un guide pour moi, un modèle à suivre dans lavie quotidienne et un héros que je mefforçais dimiter, mais aussi unvéritable père. Il ne voyait pas lombre dune inquiétude sur mon visage sansminterroger sur ce qui mattristait pour me prodiguer ensuite les meilleursconseils ou moffrir tout ce qui pouvait me rendre ma joie et mon énergie.Aussi, le jour de sa mort, ma peine était indescriptible. Layant vu vivre à lafois comme un titan et un sage, je ne nepouvais mimaginer quil puisse être mortel. Mais comme le dit Allah dans notreSaint Coran: Toute âme devragoûter à la mort.

Tout le conseil était réuni à son chevet etattendait ses dernières recommandations pour la désignation de son successeur.Pour moi, comme pour tous les autres, il était évident que cétait son fils quidevait le remplacer, aussi les hauts dignitaires qui lavaient toujours servifidèlement lui proposèrent de passer les rênes du royaume à celui qui porte sonnom. Mais Ibn Iyâdh se releva du lit où il était allongé et je vis sur sonvisage un signe de profonde désapprobation. Il leur répondit dune voix fermemalgré son état: non, pas mon fils! Pas lui! Car jai ouï direquil boit du vin et néglige la prière ! . Ses auditeurs eurent à peine letemps dentendre son refus quil ajouta:si vous le voulez,je ny puis rien, mais prenez plutôt cet homme, dit-il, en se tournant vers moiet en me désignant du doigt.

Quelle ne fut pas ma surprise davoir été choisipar mon héros pour lui succéder! Je connaissais toute sa bonté et sonaffection pour moi, mais jétais loin de me douter quil me faisait confianceau point oui de ne préférer à son propre fils. Puis, avant que je neus letemps de réagir, il ajouta: Mohamed est doté de lénergie et du couragedont a besoin notre royaume. Jai eu maintes fois loccasion de vérifier sadroiture et sa fidélité. Jamais il na refusé une mission difficile ni contestéaucun de mes choix. De plus, il connaîttous les rouages du commandement militaire. Par lui, il est possible que Dieuétende sa faveur non seulement sur notre royaume, mais sur tous lesmusulmans!

Tous les membres du Haut-conseil approuvèrent la proposition d'Ibn'Iyâdh qui mourut peu de temps après. Désormais à la tête de la principauté deValence, mon père s'avéra un chef de guerre remarquable à l'instar de mongrand-père Saad Ibn Mardanish qui fut gouverneur de Fraga et résista avecsuccès aux attaques d'Alphonse 1er d'Aragon. Et comme mon oncle Abdallah quifut lui aussi lieutenant d'Ibn 'Iyâdh et qui mourut les armes à la main enluttant contre les chrétiens lors de la bataille de Zafdala, mon père n'ajamais craint la mort. Doué d'une force prodigieuse, il était d'une bravoure àtoute épreuve. Dans le combat, il n'avait pas peur d'exposer sa vie au pointque ses lieutenants devaient constamment lui rappeler qu'un général en chefétait beaucoup plus précieux pour son armée qu'un simple soldat. Ses officiers,pour qui il était une véritable idole, appréciaient en lui aussi bien satémérité que sa sagacité.

Mon père était l'objet d'admiration non seulement de ses hommes, maismême de ses ennemis. Ces derniers, répugnant à le nommer Mohammed, ledésignaient sous l'appellation de El Rey Lobo (Le Roi Loup). Ils allèrent mêmejusqu'à prétendre que son nom patronymique Mardanish était une déformation de Martinezpour les uns ou de Mardonius pour d'autres. Mais mon père ne m'ajamais confirmé cela malgré mes nombreuses questions à ce sujet. Et lorsqu'ilsentait que son silence me troublait, il me disait que nous avions une originenoble arabe qui nous rattachait à l'illustre tribu des Djudham. Il aimait chaque fois me rappeler cette parole des anciensarabes : "l'homme de valeur n'est pas celui qui proclame : voici ce quefut mon père, mais celui qui dit voici ce que je suis!" Et il ajoutait :"Dieu Seul sait ce que nous sommes, Lui qui est au cœur de Ses créatures.Il sait ce que chacune montre et ce qu'elle cache au fond de sa poitrine. C'estpourquoi je n'ai cure des jugements des hommes qui ne perçoivent que lesapparences des êtres. En toutes choses, je m'en remets au Jugement de Dieu quiconnaît le secret de mon âme.

Ce sont de telles paroles qui m'ont permis de voir mon père non pas avecles yeux du visage, mais avec ceux du cœur. Aussi, je ne prêtais nulleattention aux rumeurs qui couraient sur lui et que chaque fois que l'on merapportait quelque chose de négatif sur lui, je me contentais de répondre :" Dieu est le plus savant, Il est le Seul à savoir ce qui est vrai et cequi est faux dans ce que vous me dites sur mon père."

À la tête de Valence, mon père consolida en peu de temps les marchesfrontalières de la principauté. Mais son ambition allait bien au-delà de lasimple conservation du territoire qu'il a hérité de son maître Ibn 'Iyâdh. Ilétait animé d'un esprit de conquête qu'il exerça avec détermination etperspicacité. La puissance de notre taïfas'accrut considérablement grâce à la collaboration de son beau-père Ibrahim IbnHamushk. Ensemble, ils étendirent notre territoire par la possession des citésde Cadix, Jaen, Baeza et Carmona. Des années plus tard, ils menèrent uneattaque surprise contre l'importante ville de Grenade qu'ils occupèrent pendantun certain temps. Mais, les Almohades, qui avaient réussi à établir leurpouvoir sur toutes les autres principautés ne pouvaient supporter deconcurrents dans al-Andalus où ils se voulaient les maîtres absolus. Aussi, à la fin du mois de Rajab 557 ( Juillet1162), réagirent-ils avec une force démesurée et une violence inouïe. Ilsréussirent à déloger les soldats de Ibn Hamushk des places fortes de l'Alcazabade Grenade où ils s'étaient établis et en tuèrent un très grand nombre. Monpère me raconta qu'il échappa de justesse à la mort en abandonnant tentes etbagages. Poursuivi par les Almohades, il ne dut sa survie qu'à sa connaissancedes sentiers des montagnes de la Sierra Nevada.

Cette reprise de Grenade eut de graves conséquences pour les populationsjuives et chrétiennes qui y vivaient encore. En effet, leur sort, déjà bienmalheureux sous les Almoravides, était devenu intolérable après la conquêtealmohade. Leurs églises et synagogues furent détruites pour la plupart et ilsfurent contraints à la conversion à l'islam selon linterprétation "almohade ". Quant à ceux qui refusèrent de le faire, ils n'eurent d'autrechoix que l'exil ou la mort. C'est la raison pour laquelle ils appelaient detous leurs voeux l'heure qui les délivrerait du joug insupportable qui pesaitsur eux et voyaient dans les soldats de mon père des libérateurs. Ils étaientdonc prêts à seconder mon père dans ses attaques contre les places fortestombées sous le pouvoir des Berbères du Maghreb. Et c'est justement ce qu'ilsfirent lorsque les soldats d'Ibn Hamushk se présentèrent aux portes de Grenade.Ils réussirent à leur en permettre l'accès sans combat en leur ouvrant la ported'Elvira.

Après leur échec à conserver Grenade, nos troupes entreprirent trois ansplus tard, en 560/1165, de tenter de conquérir Cordoue qui dut subir un longsiège, mais ne tomba pas. Mais lorsqu'ils entreprirent la marche sur Séville,la même année, les Almohades réagirent immédiatement d'une façon vigoureuse. Lecalife Abou Yousouf Yaqoub, qui étaitalors à Marrakech, franchit le Détroit avec une puissante armée et se dirigeavers Murcie. Les troupes Almohades, en très grand nombre, infligèrent unelourde défaite à notre armée dans la vallée de Guadalantine.

Vaincu et blessé, mon père se réfugia derrière les murailles desfortifications de notre capitale. Il réussit ainsi à sauver sa vie et cellesd'une d'une partie de ses combattants les plus proches. Mais il ne put éviterla destruction de tout ce que Murcie comptait de magnifiques jardins et desplendides demeures hors de la ville assiégée. C'est alors que le vent tournadéfinitivement pour nous. Mon père fut abandonné par son beau-père et bras-droitqui prêta allégeance aux Almohades et adopta leur doctrine. Ces derniers furentravis de compter désormais dans leurs rangs non seulement le combattant le plusaudacieux, mais surtout le chef le plus proche de leur dernier ennemi enAndalousie. Grâce à lui, ils pouvaient désormais connaître tous les secrets dedéfense de mon père et les faiblesses de notre principauté. Cette trahison futun coup fatal pour lui et le mena par la suite à la démence et à la mort.

Mais avant d'atteindre ce stade irréversible, il eut un dernier sursautde sagesse. Comprenant alors que le sort de Murcie était scellé, il nous réunitmes frères et moi dans sa chambre de travail pour un entretien qui resteragravé dans ma mémoire. Pour la première fois de ma vie, je vis sur son visageles signes évidents du désespoir lui qui ne s'était jamais avoué vaincu mêmedans les pires épreuves. Ayant perdu le soutien, non seulement de son beau-pèremais aussi des populations de nombreuses localités qui dépendaient de Murcie,il comprit que la chute de Monteaguda, la principale forteresse de défense,était imminente. Après nous avoir fait asseoir autour de lui avec une infiniedouceur, totalement inhabituelle chez lui, il me regarda droit dans les yeux etme dit :

" Hilal, tu es l'aîné de tes frères et le plus compétent d'entreeux dans tous les domaines. Tu as suivi mieux que personne les déroulements denotre résistance depuis de nombreuses années. C'est donc à toi que je m'adresseen premier lieu. Tu devines, hélas, que je ne t'ai pas appelé pour te remettreles clés de succession à la tête de notre royaume dont les jours sont comptés.Je t'ai demandé de venir ici pour gérer la suite de notre débâcle. J'auraisaimé te voir me succéder non pas sur le trône de Murcie sur lequel je ne mesuis jamais assis, mais sur le dos d'un coursier comme je le fis durant toutemon existence de guerrier et de chef de notre communauté. Malheureusement, iln'y aura plus, pour toi, de combats à mener ni de victoires à remporter sur leschamps de bataille. Ton intelligence et ta bravoure devront désormais s'exercerdans l'enceinte des palais de nos propres ennemis."

À ces mots, je bondis et osai même lui dire :

-Père,je t'ai toujours obéi, je n'ai jamais refusé d'exécuter le moindre de tesordres, mais servir nos ennemis, ça jamais !

-Jecomprends ton étonnement et ton refus mon fils, mais comme disaient nosancêtres: que peut le défunt entre les mains celui qui est chargé de sesablutions mortuaires?

-Maispourquoi parles-tu de la mort, père ? Tu as encore toute ta force et ta vigueuret nous pouvons encore résister. Il te reste encore de valeureux et fidèlescombattants qui sont prêts à se battre à tes côtés!

-Oui,quelques uns, mais pas suffisamment pour tenir encore longtemps face à la maréealmohade. C'est pour cela que j'ai invité tous mes conseillers etadministrateurs à une réunion après mon entretien avec vous. Quant à ce quiconcerne la mort je voudrais que tu saches vraiment ce que j'en pense. Malgrél'impression que j'ai pu te donner auparavant, j'ai toujours su, grâce à mesexpériences de combattant, que la durée de notre vie dans cette demeure estbrève. J'ai été si souvent confronté à la mort, je l'ai approchée moi-même detrès près à Grenade et à Guadalantine. J'ai vu aussi périr à mes côtés tant debraves combattants que j'ai compris mieux que personne le sens du verset oùDieu nous rappelle que "toute âmegoûtera à la mort". Sache, Hilal, que le jour où je rejoindrai leSeigneur est très proche. Il y a des impressions qui ne trompent pas. J'espèreseulement que mes bienfaits pèseront plus lourds que mes péchés dans laBalance, le Jour du Jugement.

-Père,je ne peux imaginer que tout ce que tu as édifié va s'écrouler et que...

-Si,mon fils, aucun empire aussi puissant soit-il ne demeure, seul le Royaume deDieu est éternel. Aussi vous ai-je réunis pour vous dire ceci : lesAlmohades se sont répandus partout et les principautés reconnaissent les unes aprèsles autres leur autorité. Comme je pense que vous ne pourrez pas leur tenirtête, reconnaissez, vous aussi bon gré, mal gré, leur pouvoir. Afin de jouir dequelque influence auprès d'eux, n'attendez pas de subir le même sort qued'autres avant vous. Vous n'ignorez pas comment ils ont traité les pays conquisde vive force.[1]

Aussi amères fussent-elles, nous ne pouvions rien dire contre lesparoles de notre père. Il avait parlé en homme d'expérience et en véritablestratège dans la situation de défaite que nous vivions. Aussitôt son discours terminé,mon père nous invita à le suivre jusqu'à la salle du Conseil afin d'assister àsa rencontre avec les dignitaires du royaume.

Quand nous entrâmes dans la salle, tout le monde était déjà là,attendant les annonces du prince. Je me dirigeai avec mes frères vers l'espaceréservé habituellement aux invités étrangers. Il y avait là quelques fidèles demon père accourus des rares localités de Murcie qui n'avaient pas encore prêtéallégeance à l'ennemi. On y retrouva également quelques enfants descollaborateurs de mon père que leurs parents tenaient à les voir assister àcette rencontre solennelle de fin de règne. Pareille occasion permet aux jeunesesprits de s'instruire des affaires du pouvoir mieux que tous les livres. Parmiles enfants, il y en avait un qui nous était très proche à la fois du fait dela fonction de son père, ministre du prince mais aussi par son intelligenceprécoce que j'avais constatée en lui lorsqu'il venait jouer avec mes jeunesfrères. Il s'agissait de Muhammad Ibn al-Arabi. (Intégrer passage sur enfance vue par Hilel)

Lorsque mon père commença à parler, un silence absolu se fit dans lasalle. Tout le monde connaissait la gravité de la situation et sinterrogeaitsur la manière dont le prince allait laffronter. Le dernier carré présent àcette rencontre lui était totalement acquis. Ils avaient tous vu leur chef sedépêtrer de mille situations qui paraissaient alors inextricables. Ilsconnaissaient sa capacité à pardonner en grand seigneur comme il le fit pour unallié accusé de trahison. Ce dernier, nommé Ibn Nizar, était également un poètetalentueux qui connaissait la faiblesse de mon père pour lart de la poésiecomme pour celui de la danse, du chant ou de la sculpture. Jeté en prison à lasuite dune dénonciation de sédition, Ibn Nizar composa un poème dune subtileintelligence quil fit entendre à mon père par lintermédiaire duneesclave-chanteuse (ici lerécit de cette histoire abrégée)

Ibn Mardanîsh et la poésie.

Au début de lécroulement de lempire almoravide, Ibn Nizâr (Abû al-Hasan), profite de la situation pour tenter de se tailler une principauté à Wâdi Âsh (Guadix). Mais à la suite dintrigues, il fut capturé et livré à Ibn Mardanîsh qui régnait sur la plupart des districts de lEst. Le prince lemprisonna jusquau jour où Ibn Nizâr qui était un poète astucieux conçut une ruse qui allait lui permettre de retrouver sa liberté. Il composa une muwashshaha qui commence par:

Nazaa-ki al-badru al-layyâh

où il tient les propos suivants:

Dois-je dire aux envieux ()

vous me blâmez pour une liberté

qui nétait quun vœu et que le pardon a permis de réaliser?

il apprit ensuite ce poème à une chanteuse réputée pour sa très bellevoix et lui demanda dintercéder en sa faveur auprès du prince. Quand celui-ci linvita à chanter pour lui, elle fit ce quIbn Nizâr lui avait demandé. À la fin du chant, le prince lui demanda de rechanter la muwashshaha une nouvelle fois. Il fut alors envahi dun sentiment de clémence et ordonna la libération immédiate du prisonnier. Lorsque Ibn Nizâr se présenta devant Ibn Mardanish, celui-ci lui dit:

- Abû al-Hasan, jai ordonné de te libérer malgré tous les envieux. Retourne dans ta ville où je te permets de régner ainsi que dans dautres régions si tu y arrives. Tu mérites de régner

- non seulement sur Guadix, mais sur toute lEspagne!

- Seigneur, répondit Ibn Nizâr, je préfère me mettre sous vos ordres et vous exprimer ma reconnaissance pour mavoir sorti dune tombe où mes ennemis mavaient jeté.

Ils burent alors ensemble jusquà livresse.[2]

Prompt à pardonner, mon père pouvait également punir avec une extrême sévéritécomme il le fit avec les ministres quil emmura vivants après leur trahison. Maisce que nous allions entendre aujourdhui ne tenait ni de la détermination delambitieux conquérant ni de lhomme de cour enjoué. Moi-même, son fils aîné,qui le connaissait en tant quhomme de pouvoir et en tant que père, fus surprisdès ses premières paroles:

Au Nom de Dieu le Clément le Très Miséricordieux et que le Salutet la Prière de Dieu soient sur son Prophète notre guide et notre exemplesuprême. À vous mes fidèles de la dernière heure, je voudrais dabord vous direque ce qui manime depuis plus dune semaine nest pas le sort de notreprincipauté qui est vouée à la reddition et peut-être même à la destruction etau carnage dont ont fait preuve nos ennemis lors de la prise des autresterritoires qui avaient refusé de se rendre. Non, ce qui me taraude lespritaujourdhui, cest le sort de mes enfants et de mes fidèles ainsi que de leursfamilles. Je ne suis plus préoccupé que par le désir de rendre à Dieu une âmerepentante et apaisée. Peut-être alors que dans Sa Clémence incommensurable, Dieume permettra de recevoir le livre de mes actes de la main droite et que jylirai au jour du Jugement plus dactes méritants que de méfaits.

Je sais que ma vie na pas toujours été exemplaire. Mes ennemis se sontchargés de dénigrer ma conduite en me chargeant de tous les péchés. Ils se sontdéclarés mes juges, sans aucune légitimité, alors que notre Saint Coran et lesparoles de notre Prophète - que le Salut et la Prière de Dieu soient sur Lui-nous recommandent à nêtre les juges que de nos propres actes: Interrogez vos âmes en ce monde avantquelles ne soient interrogées par lAnge de la mort dans lAutre!.Car ceux qui ne se contentent que des apparences sont prompts à condamner commesi chaque être nétait que la façade visible de sa personne. Dieu qui connaîtnos intentions a fait dire à notre Prophète que les actes ne valent que par les intentions qui les animent. Certes,je ne suis pas un mutahhar, mahfoudh(un purifié parmi les préservés) dont les entrailles nont jamais été entachéespar des pensées dégarement ni les apparences par des actes contraires aux loisde la charia. Chaque personne donnede lui une image qui reflète ses actes apparents avant quil ne soit revêtu leJour de la Résurrection de lhabit et de limage de sa profonde Réalité.[3]

" Le moment est venu, pourmoi, non pas de justifier, de nier ou de minimiser mes erreurs passées, mais devous parler en vérité. J'ai ressenti, depuis notre dernière lourde défaite lebesoin pressant de dérouler devant vous les pages de mon Kitâb. Je le fais avec vous qui m'êtes restés fidèles alors qued'autres responsables, certains de ma propre famille, ont préféré pactiser avecl'ennemi.

Vous savez tous que j'ai mêmerefusé de prendre de titre pompeux de souverain et de nem'occuper que de ma gloriole comme le font de nombreux " Reyes detaifas" que je ne nommerai pas. Durant tout mon règne, je n'ai été animéque par une seule ambition: donner à notre royaume toute la splendeur et lanotoriété qu'il mérite! Je voulais faire de Murcie un pôle de civilisationaussi illustre que le fut Cordoue au temps du grand calife Abderrahmane. Murcien'est-elle pas devenue une capitale musulmane puissante et respectée ? Sanotoriété na t-elle pas dépassé les frontières de la Péninsule? Noustraitions d'égal à égal non seulement avec les rois chrétiens d'Aragon et de Castilleet le comte de Barcelone, mais nous étions reconnus même par le calife abbasidede Baghdad depuis que j'ai fait prononcer son nom dans le sermon du vendredi.

Cependant, que n'a t-on pas tisséde mensonges sur les véritables motifs de mes choix politiques et de mesdécisions? On m'a traité, et vous avec moi, de mécréant et d'apostat. On a levédes armées contre nous et appelé à une véritable guerre de religion contre nouscomme si nous étions les suppôts de Satan! On disait que j'avais renié mesorigines en faisant des princes chrétiens non seulement des alliés, des amis,mais même des frères. On trouvait que le fait de parler leur langue, des'habiller comme eux ou d'équiper ses chevaux à leur manière étaient des signesde " Koufr". Est-ce que tousles chrétiens qui, du temps de l'âge d'or d'Al-Andalus, avaient adopté noscoutumes et notre langue étaient devenus musulmans pour autant ?

On m'a également reproché que,pour acheter la protection des rois de Castille et d'Aragon, j'avais payétribut à nos puissants voisins chrétiens et que, pour ce faire, j'ai écrasé nossujets d'impôts ! Mais que devais-je faire, en tant que premier responsable denotre communauté pour la préserver des dangers qui la menaçaient de toutesparts? Fallait-il se lancer dans une aventure téméraire mais à l'issueincertaine au risque de faire subir à nos populations le désastre qui suit touteguerre qui s'achève par une défaite ? Vous savez comme moi que lorsque j'aipris ces décisions avec votre assentiment, c'était avant tout pour le bien etla sécurité des populations vivant sur notre territoire. Notre alliance avecles Chrétiens et le recrutement de mercenaires expérimentés n'étaient dus ni aurejet de notre religion ni à de la faiblesse ou à une servile soumission.D'ailleurs, les Almohades qui nous reprochent ces choix et qui se targuentpourtant de pureté morale et de rigueur religieuse, n'y ont-ils pas eu recourseux-mêmes contre leurs ennemis au Maghreb dans leurs guerres contre lesAlmoravides? Nous nous sommes battus, sans répit, avec courage et téméritéquand il le fallait et que nous le pouvions. N'avions-nous pas étendu les frontièresde notre royaume et imposé notre présence jusqu'aux montagnes de Cuenca et à laSierra de Segura? Seule Almeria nous avait échappé quand elle tomba aux mainsdes Castillans.

On nous a également reproché leprétendu "traitement de faveur" accordé aux soldats castillans, navarrais et catalans que nous avions recrutéset que nous leur avions octroyés les maisons des fonctionnaires qui complotaientcontre nous avec nos ennemis! Fallait-il les faire vivre dans des conditionsinsupportables si nous voulions qu'ils se battent à nos côtés avec conviction ?Fallait-il les laisser errer à leur guise sans demeures ou les cantonner plutôtdans des lieux contrôlables ?

Quant à la permission d'ouvrirdes cabarets dans leurs quartiers, nous la leur avions donné selon le principedu respect du mode de vie de nos alliés du moment. Évidemment, nos ennemis qui avaienttoujours vécu en terre d'Islam sans la présence à leurs côtés de populations àla religion et aux mœurs différentes ne peuvent comprendre le sens de notreprincipe de convivialité. Nous autres Andalous, au cours des siècles deprésence en terre ibérique, avons porté à un sommet jamais égalé l'esprit detolérance et de respect des convictions religieuses des Gens du Livre, qu'ilsappartiennent au peuple de Moïse ou de Jésus ! Ce fut le cas non seulement sousle pouvoir éclairé du Calife omeyyade Abderrahmane, mais même sous le règne desprinces des taïfas de Cordoue, deSéville ou de Badajoz. Musulmans, Juifs et Chrétiens vivaient en bonne entente.Chaque communauté fréquentait ses lieuxde culte et vivait selon ses habitudes culinaires et vestimentaires. À cetteépoque, notre civilisation était admirée et enviée par toutes les nations. Onvenait de toutes parts admirer lintelligence et la sagesse avec lesquelles lepays était administré. Notre pays attirait les hommes et les femmes les pluscélèbres qui venaient y exercer leur art ou développer leurs penséesphilosophiques et scientifiques.

Tout cela a malheureusementfailli disparaître à cause des conflits qui ont suivi la chute du califat et ladivision de notre patrie en principautés concurrentes. Heureusement que laculture andalouse et lesprit douverture étaient profondément ancrés dans lesâmes. Même les Almoravides, venus du Maghreb ont fini par se laisser conquérirpar la douceur et lesprit de tolérance de lAndalousie. Et si la gestion denotre pays nétait pas devenue médiocre voire suicidaire, nous naurions jamaispris les armes contre eux.

Rappelez-vous comment dès monaccession à la charge de dirigeant de Valence, jai défendu avec force cetesprit andalou. Nous avons ressuscité, dans notre royaume, lesprit detolérance selon le verset qui dit: Àvous votre religion et à nous la nôtre!. Nos ennemis nousrespectaient au point non seulement de nous envoyer des ambassadeurs pourreprésenter les intérêts de leurs pays, mais ont noué avec nous des relationstrès étroites dans tous les domaines. Nous avons signé des traités commerciauxmême avec les républiques de Pise et de Gênes en Italie. Notre monnaie étaitdevenue lune des plus puissantes dEurope. Nous avions développé notreagriculture surtout autour de notre capitale Murcie. On venait de tous lesroyaumes environnants sinstruire sur les techniques dirrigation mises enplace par nos ingénieurs. Nos artisans, travaillant dans un espritdinnovation, ont redonné vie à lart de la céramique et à la fabrication dupapier de soie. Leurs produits sexportaient dans tous les pays du Nord. Toutesces activités ont enrichi notre population qui sest accrue à un niveau jamaisatteint auparavant.

Mais ladmiration des uns nallaitpas sans lenvie des autres. Aussi les Almohades nont jamais supporté notreindépendance. Après avoir chassé les Almoravides de Séville et conquis laplupart des autres principautés, ils ont voulu réserver le même sort à notre territoire.Sans la bravoure de nos soldats, chrétiens comme musulmans, ainsi que lespuissantes fortifications que nous avons élevées autour du Castillo de Monteagudaet dautres places fortes autour de Murcie, nous aurions disparu depuislongtemps. Cest grâce à tous ceux qui ont donné leur vie pour défendre notreroyaume et grâce à vous tous, qui avez si bien géré nos affaires que nous avonspu résister durant un long de siècle à une armée qui a conquis tout le Maghrebet a remplacé le pouvoir almoravide et celui des princes indépendants ailleursen Andalousie. Mais seul le royaume de Dieu est éternel!

Vous savez, comme moi, quà laprochaine offensive, si nous continuons à nous battre, nous serons balayés. Àce moment-là, nos ennemis nauront aucune pitié. Tout vos biens vous serontarrachés, vos mères et vos épouses seront violentées et Dieu sait ce quilsferont de vos enfants. Sans doute des esclaves quils enverront enchaînés de lautrecôté du Détroit. Alors que faire?Je vais peut-être vous surprendre, mais je vous demande de céder notre placeforte sans combat. Même Almeria et Valence où javais placé mon propre frère,viennent de se soumettre aux Almohades. Prêtons allégeance à ceux que nous nepouvons pas vaincre! Sauvons ce qui reste de la brillante civilisationque nous avons contribué à développer. En ce qui me concerne, pour le bien detous, je suis prêt à me livrer ou à membarquer pour une destination lointaine.Et vous direz à mes ennemis que vous mavez vous-même chassé parce que jevoulais vous obliger à résister. Laissez-moi porter seul le poids de lavelléité de résistance et vous apparaîtrez comme de futurs alliés sur qui lesAlmohades voudront compter. Ils connaissent trop vos qualités et vos talentspour vous sacrifier.

Voici ce que javais à vous dire.Maintenant la décision est entre vos mains. Que Dieu Tout Puissant éclairevotre choix et vous protège ainsi que vos familles. Que Dieu me pardonne meserreurs et massiste dans les mois futurs pour que la fin de mon règne ne soitune tragédie ni pour moi ni pour personne. Maintenant, je vous laisse discuterlibrement entre vous sur la décision apprendre. Quant à moi, je me retire pouraller mentretenir avec mon âme.

Une fois son discours achevé, tout le monde seleva en signe de respect pour un homme qui était prêt à renoncer à une gloirefinale illusoire pour le bien de ses administrés. Je reçus, ce jour-là, la plusbrillante leçon de politique. Jai ressenti aussi pour mon père une admirationsans bornes et, après avoir ramené mes jeunes frères, je revins à la salle duConseil pour participer à la décision des représentants de notre communauté. Laséance fut très brève: la proposition de mon père fut acceptée àlunanimité et décision fut prise denvoyer un émissaire auprès du sultanalmohade porter le drapeau blanc de la reddition.

À suivre..

Prochains chapitres prévus:

Chapitre 4: Séville: La Voie des plaisirs et des honneurs

Chapitre 5 : L'Entrée dans La Voie d'Amour

Chapitre 6 : Maîtres et disciples

Chapitre 7 : Le privilège de la Sainteté

Chapitre 8 : Le Chemin vers les étoiles sacrées

Chapitre 9 : l'Adieu à l'Occident.

Puisse Dieu me donner l'énergie nécessaire pour une telle tâche et m'inspirer Le Vrai, Le Beau et Le Juste!


Saadane BENBABAALI

Tous droits réservés

Ibn Arabi,Le Maître de la Voie d'Amour, (à paraître)



[1]( In al-Mudjib dAl-Marrakushî, trad. Fagnan, p. 216).

[2]Voir le texte intégral chez Al-Maqqarî, Nafh al-tîb, vol. 3, pp. 492-494.

[3]Futûhât, I, 463 et 466


NOTES


NOTES DU Chapitre 1

[1] À lordre divin kun!(sois!), lâme répond par lobéissance en venant àlexistence.

[2] Il serait né le 27 juillet 1165(17Ramadân 560) ou , selon dautressources, le 6 août (27Ramadân 560 ).

[3] Connus en Occident sous le nom dAlmohades

[4] Le meilleur descendant de la plus nobleascendance

[5] Partie occidentale dal-Andalus correspondant à peuprès au Portugal actuel

[6] Partie orientale dal-Andalus: le Levante.

[7] Innovation non conforme aux Traditions.

[8] Hérésie.

[9] Satan.

[10]Lettré.


NOTES DU PRÉAMBULE:

[1]Comme le déclare un éminent connaisseur de lapensée akbarienne, seuls donc, un cheminement aux multiples détoursparmi les milliers de pages qui composent son œuvre et une confrontation detextes parfois contradictoires à première vue permettent de mettre en évidencela cohérence de son enseignement et den dégager les implications, M.Chodkiewicz, Le Sceau des Saints, Gallimard, 1986, p.31.

[2]In H. Corbin, Limaginationcréatrice dans le soufisme dIbn Arabi, Aubier, Paris, 1993, p. 111.

Par ailleurs, parlantde son œuvre majeure, les Futûhât,Ibn Arabî dit: je nai pas écrit une seule lettre de celivreautrement que par dictée divine et projection seigneuriale, Fut. III, 457; cité in Le Sceau des Saints, p. 31.

[3] Il traduisit également un chapitre fondamental des Futûhât: Bâb al-Mahabba. Cf.IbnArabi, Traité de lamour, AlbinMichel, 1986.

[4] M. Chodkiewicz, Lesécrits spirituels

[5] C. Addas: IbnArabî, ou la quête du soufre rouge,

[6] Corbin H., Limagination...op. cité

[7] Celle de dâral-Kutub al-Ilmiyya, Beyrouth,1999.

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